Maxime Thiebault · 27 novembre 2024
Plasticien numérique chez Artisan Numérique
Expérimentation , Lab , AteliersShaper Origin - Gardez le contrôle !
Nous avons étudié, et mis au banc d’essai, la fraiseuse Shaper Origin dès son arrivée en France en 2018. A cette période les Fablab apparaissaient sur tout le territoire et s'équipaient de machines à commandes numériques imposantes. Ce format portatif nous a paru assez intéressant, notamment pour sa capacité potentielle à intégrer directement les ateliers d'artisans. Nous souhaitions observer si le principe de l'outil numérique portatif que propose la Shaper, pouvait amener une articulation plus fine entre les process artisanaux et les outils numériques.
L'outil electro-portatif et numérique
Parmis les outils numériques que l'on connait sous le titre de CNC (Computer Numerical Control : Commande Numérique par Ordinateur), la Shaper se distingue par deux particularités essentielles. La première c'est qu'elle ne fonctionne pas uniquement par la commande numérique, il lui faut un accompagnement par un agent humain. Donc nous ne sommes pas en présence d'un outil qui exécute de façon autonome l'action demandée.
La seconde particularité de la SHAPER est qu'elle n'a pas de plan de travail défini. C'est à l'opérateur de le déterminer en déplaçant la machine manuellement. Contrairement à une fraiseuse CNC sur table, qui possède donc un plan de travail déterminé et limité, la Shaper permet de scanner, et de définir le plan de travail avant chaque nouveau projet. Ce sont ces innovations qui rendent possible la machine hybride qu'est la SHAPER, entre CNC et outil électro-portatif.
Déterminer son plan de travail
Pour cela il est nécessaire de poser des marqueurs sur le matériau à travailler. Ces marqueurs, fournis sous forme de scotchs en papier appelés "Tape", sont reconnus par la machine afin d'établir la cartographie de la zone de travail. En faisant glisser la Shaper, sur chacun des marqueurs, cela permet de définir la partie à travailler.
Ainsi après avoir ainsi scanné le matériau disposé en "Tape", la Shaper compile ces informations et reconnait la surface de travail ainsi que ses dimensions. Un fois cette première étape de calibrage réalisée, la machine, par son écran intégré, peut fixer un tracé à réaliser sur ce nouveau plan de travail.
Par la suite, la shaper pourra être déplacée et le tracé restera, au travers de l'écran, à la place qui lui à été attribuée.
Par cette innovation, qui permet de définir un espace de travail sur-mesure, il est donc possible dorénavant de travailler avec des outils de type CNC qui fonctionnent par un accompagnement manuel. Aussi la taille de l'outil n'est plus rattachée à la dimension de son plan de travail. Ce n'est pas chose anodine car la grande majorité des machines CNC comprennent un plan de travail intégré et sont donc fabriquées à proportion de celui-ci. Par conséquent, plus la surface de travail est grande plus la machine est volumineuse (et onéreuse). La Shaper est ainsi un modèle d'outil CNC qui se libère de cette contrainte de proportion et rompt aussi avec une problématique majeure de ses technologies : celle de l'encombrement d'un atelier.
A vos marques... Scannez, Dessinez, Fraisez !
Il s'agit certainement de la machine-outil numérique la plus facile à utiliser. En effet son système intégré vous propose, sur l'écran tactile, un déroulé en trois étapes : Scanner l'espace à travailler, dessiner ou importer un tracé depuis une clé USB, et enfin définir vos paramètres de fraisage (taille du foret installé sur le mandrin, profondeur de fraisage à réaliser). Le caractère autonome étant absent permet de se libérer aussi de tout un tas de vérification avant le lancement du fraisage. Sur la SHAPER, il est possible d’interrompre le fraisage à tout moment sans que cela ne soit problématique pour le relancer. Elle est d'ailleurs pensée pour arrêter le fraisage à tout moment, en particulier si l'agent qui l'utilise ne suit pas le dessin présenté à l'écran. Par conséquent ce type de machine est moins effrayante qu'une CNC autonome car l'agent reste en contact avec elle et en conserve le contrôle.
HC-CNC : Human Control with Computer Numerical Correction
La fraiseuse numérique portative a besoin de son utilisateur pour attaquer la matière. L'intervention de l'agent tout au long du process est effectivement un facteur nouveau dans l'usage des CNC. Jusque là, son action s’arrêtait au lancement d'un processus numérique motorisé, donc autonome, et au contrôle visuel du bon déroulement de l'action en cours. Dans le cas de la fraiseuse portative numérique l'agent déplace l'outil, le faisant ainsi glisser sur le matériau, en suivant le tracé qui est affiché à l'écran. La véritable action de l'ordinateur embarqué est de corriger, sur une marge maximale de 4 à 5 cm, les irrégularités du déplacement manuel. Effectivement, la SHAPER est munie d'un axe de forage mobile qui compense l'irrégularité du déplacement et assure que le fraisage s'effectue bien sur le tracé affiché à l'écran. Pour se faire la machine est douée d'une certaine réactivité pour déplacer le mandrin de forage, si besoin, en fonction du déplacement effectué par l'agent. Le volet numérique assure surtout la précision en ajustant le mandrin au bon endroit.
Il s'agit donc d'un outil fondamentalement différent des autres machines CNC qui relance la manière de considérer le process numérique dans l'Artisanat. L'évolution s'opère d'une part dans le contact avec la matériau qui est maintenu, et d'autre part vis à vis de la place du numérique dans l'action à réaliser, qui s'épure vers l'essentiel : l'accompagnement pour la précision.
Par rapport au matériau, la SHAPER permet de réconcilier l'agent et la matière. Elle rompt ainsi avec la distance qui s'était jusque là imposée du fait d'une autonomie de la machine. L'action autonome possède des avantages, notamment celle de libérer l'agent de la tâche à réaliser. Néanmoins dans une activité artisanale, pour laquelle le retour de sensation et le contrôle de l'action par le Faire sont des aspects primordiaux, cet outil devient, si on peut le dire ainsi, "respectable". Il n'impose pas la distance des acteurs entre la conception (humain) et l’exécution (machine). Dans le cas de la SHAPER, l'artisan est toujours au pilotage direct de l'action et dans une véritable proximité avec la matière.
La considération de la machine numérique est également concernée car dans ce rôle d'accompagnant sa qualité nouvelle dite "respectable" permet d'ouvrir le dialogue avec le métier. Elle ne s'érige pas seulement comme une "automatisation" du Faire. De fait, elle se défait aussi d'un apparat de complexité. Le simple fait d'une complémentarité dans son fonctionnement ouvre la voie à une nouvelle considération ; de la machine vers l'outil, de l'automatique vers le manœuvrable.
Les CMA Occitanie à l'avant garde
Dans le prolongement de ce mouvement, la SHAPER devient un moyen de médiation ou de réconciliation entre artisanat et numérique. En effet, cette évolution de la CNC vers ce que nous avons identifié comme HC-CNC, semble dégripper les aprioris tenace que peuvent avoir les artisans sur le sujet de la machine numérique. A commencer par ce sujet de la complexité qui se désamorce avec la SHAPER. Dans cette motivation apparait la possibilité d'évoquer enfin l'étape du dessin numérique, le tracé vectoriel et donc l'étape de vectorisation sur logiciel. La reconnaissance de la pertinence de l'outil permet de franchir une étape et d'accepter, pour l'artisan, de se former à la création du dessin vectoriel sur logiciel. Étant donné que le momentum est activé, les étapes complémentaires sont aussi dédramatisées. Tant mieux car le sujet du dessin vectoriel, et in fine de la création du fichier de fraisage, dépasse l'utilisation de la Shaper et concerne quasiment l'ensemble des machines à commande numérique. A partir de ce fichier l'artisan pourra réaliser sa découpe ou gravure quelque soit l'outil numérique à sa disposition. Donc, pour revenir à la pertinence de la SHAPER, elle est essentielle sur le point de cette médiation/découverte car elle va être le moteur d'un apprentissage plus fondamental sur le sujet numérique.
C'est en cela aussi que cette fraiseuse est intéressante: elle motive par son caractère "accompagnée", et non autonome. Elle oriente les artisans vers un apprentissage du process numérique et de son intégration dans leur process métier.
Désormais, les CMA de la Région Occitanie vont intégrer la SHAPER dans leur offre de formations. L'enjeu dépasse l'utilisation de cette machine en particulier, il s'agit surtout d'inviter les artisans à porter un regard nouveau sur leur process métier et leur permettre d'être les acteurs de l'intégration des outils numériques dans leur savoir-faire. La formation à la Shaper représente ainsi un format de découverte assez ludique des potentiels du numérique pour les métiers. L'apprentissage des logiciels de vectorisation, concomitante à l'utilisation de cette machine, est plus "digeste" car la réalisation du tracé sur ordinateur se concrétise assez rapidement sur la matière, et en définitive, du numérique vers l'action manuelle.